Des pratiques et des ressources pour être pleinement en conscience avec les chevaux
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Mais en fait, c'est quoi le chamanisme et l'appropriation culturelle ?
Un texte de Sylvain Gillier,
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avec des citations ( en italiques) du Dr Jacques MABIT de TAKIWASI
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Version complète avec liens internet et avec une bibliographie en ligne sur ce lien [2]
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Ce texte reflète les positions de l'auteur en ce qui concerne la notion d'appropriation culturelle, en vue de préciser les normes éthiques pour la charte éthique de Cheval en Conscience. Ce texte n'est pas dirigé contre une quelconque pratique, organisation ou personne. Ce texte ne critique, n'attaque ou ne dénigre aucune pratique ou croyances individuelles. ll s'agit uniquement de considérations générales d'ordre éthique qui n'engagent que l'auteur du texte et aucune autre personne.
Rencontrer des Indiens et des chamanes pour se reconnecter à la nature ?
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Vous avez ressenti un appel intérieur? Vous voudriez partir à l'aventure, rencontrer des "chamanes" chez les Indiens, réveiller la chamane qui sommeille en vous, ou vous reconnecter à la nature et à votre animal de pouvoir? Je peux comprendre ce que vous ressentez, car j'ai moi aussi ressenti cet appel intérieur, et ça a été le moteur de mes voyages et de mes rencontres sur plus de quinze années avec beaucoup, beaucoup de femmes et d'hommes médecine dans de nombreuses nations amérindiennes, chez les Navajo, les Apache, les Hopi, les Lakota, entre autres. Alors que j'avais une vingtaine d'année, j'ai rencontré l'anthropologue Michael Harner lors d'une formation de trois années au chamanisme, j'ai passé plusieurs semaines au Mexique à Huautla de Jimenez, près de la curandera Maria Sabina, et je sais très bien que le chamanisme existe!
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Mais il me semble qu'il faudrait d'abord se poser la question de qui en moi ressent ce besoin de rencontrer les chamanes, les peuples premiers ou les Indiens, et aussi pourquoi, plus généralement, l'occidental veut tellement se relier à la nature.
Et c'est à cause de cela que, selon mon point de vue, avant d'aller chercher "le chamane qui pourrait me guérir" dans les jungles d'Amazonie, au Pérou avec les plantes sacrées ou avec les chamanes de Mongolie, c'est important de mieux comprendre les moteurs intérieurs de ma recherche.
Je comprends bien que vous, vous qui pensez avoir été une Indienne dans une vie précédente, vous qui pensez avoir reçu des dons de guérison médiumniques ou un appel de votre animal de pouvoir, vous n'avez pas du tout envie d'entendre que votre vision repose sur une illusion, sur des stéréotypes ou sur des mécanismes de projections psychologiques.
Pourtant, je crois vraiment qu'avant de rencontrer une personne ou une culture, avant d'entrer en communication avec qui que ce soit ( et les animaux y compris) , c'est important de rentrer en soi, de se remettre en question soi-même, de méditer sur qu'est-ce qui me fait vraiment agir .
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Vous préférez lire la littérature néo chamanique et ce que " les chamanes disent aux petits frères occidentaux " ? Vous préféreriez que je vous donne les clefs des mystérieuses cérémonies des chamanes Indiens ? Et bien alors, nous ne sommes pas tout à fait sur la même longueur d'onde, pas de problème, je vous laisse continuer votre chemin sans vous faire perdre plus de votre temps.
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Mais si vous essayez, comme je l'ai fait, de comprendre qui sont les peuples premiers, pourquoi ils sont aux racines de la formation de nos états démocratiques, et pourquoi ils sont dépositaires d'une véritable science ancestrale, de profondes connaissances sur la vie et la création de l'univers, et bien je vous propose de prendre un peu de votre temps pour lire ce qui suit.
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Je voudrais faire ressentir quel est le point de vue des femmes et des hommes qui vivent aujourd'hui dans une culture indigène. Et j'essaie de vous faire ressentir ça parce que, moi même, j'ai commis beaucoup, beaucoup d'erreurs, de gaffes et de bourdes. Et, heureusement, j'ai rencontré des personnes de culture amérindiennes, des praticien.nes traditionnels, des personnes pleines de compréhension et de tolérance, de générosité et d'accueil, qui m'ont patiemment expliqué leur point de vue et leurs ressentis.
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Jacqueline Keeler, une journaliste Indienne Navajo, décrit avec force comment cet "appel intérieur des occidentaux à se reconnecter à la nature sauvage " est vécu du coté des nations amérindiennes aux Etats-Unis. Jacqueline dénonce fermement l'appropriations culturelle causée par cette recherche de chamanisme et de connexion à la nature. Elle est d'avis que la principale raison de ce désir des occidentaux de se "relier à la nature", ou de " rétablir la connexion avec la nature" c'est un sentiment de culpabilité inconscient des occidentaux d'avoir colonisé , exploité et détruit à peu près toutes les terres sauvages, les lieux sacrés et les biotopes primaires sur la planète.
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Il me semble qu’il y a aussi un mécanisme psychologique de projection qui explique ce besoin de " se relier à la nature".
Pour la plupart d'entre nous, et d'ailleurs pour les "Indiens" eux-mêmes, une partie de notre être a été blessée et traumatisée par les événements de la vie. Cette partie a été marginalisée par notre inconscient. Ces parties de nous-même, qui portent des souvenirs traumatisants et douloureux, ont été rejetées à l'extérieur , pour ainsi dire dans la jungle sauvage de notre propre subconscient. Cette partie essaie sans arrêt de se reconnecter à nous, et une grande partie de nos mécanismes psychologiques d'attirance vers ce que nous pensons être "les Indiens" ou " les chamanes" sont causés, en réalité, par des projections de cette partie blessée et exilée à l'intérieur de notre propre subconscient.
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C'est vrai pour les peuples amérindiens eux-mêmes. Si vous êtes intéressé.e d'aller plus en profondeur de ces mécanismes psychologiques, lisez ce livre de E. Duran . Car en fait, toutes les terres indigènes sur la planète ont été colonisées par les occidentaux, et même ici, en France ! Ce livre indispensable ppour comprendre les amérindiens, il qui m'a été conseillé par un des premiers Navajo que j'ai rencontré, un homme d'une grande générosité, qui m'a invité avec sa famille, à Window Rock sur la Nation Navajo.
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Lorsque nous pensons que les Indiens sont un peuple de victimes, chassé de son lieu de vie, qui a vécu un génocide, qui est profondément traumatisé, et qu'il faudrait protéger, lorsque je pense qu'il faut se rapprocher des Peuples Premiers pour écouter leurs enseignements, ou même vivre comme les Peuples Premiers une vie entièrement en lien avec la nature, en réalité, c'est de moi-même qu'il s'agit.
Beaucoup de femmes occidentales jouent aussi avec l'idée qu'elles ont été "une Indienne dans une vie passée".
Jacqueline Keeler ou Andy Smith expliquent que cette idée que redevenir en possession de son pouvoir féminin passerait par le réensauvagement de 'femmes qui courent avec les loups' pour se relier à la nature sauvage, cette idée est la conséquence de la condition dégradée de la femme en Occident.
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Dans les cultures amérindiennes, qui sont matriarcales, le point de vue n'est pas du tout le même. Certes, la condition de la femme n'était pas enviable dans la société occidentale patriarcale et colonisatrice, et les victoires du féminisme aux 19e et 20e siècle sont un progrès vers plus d'humanité et plus d'équité. Cependant, n'oublions pas que la plupart des cultures amérindiennes étaient, et sont encore, fondamentalement matriarcales. Dans ces sociétés, les femmes possèdent les biens, la maisonnée, ont le droit de répudier leur mari, et, de manière générale, prennent les décisions importantes. Point de vue radicalement différent! En ayant passé des années dans les Nations Navajo et Hopi du Sud-Ouest des Etats-Unis, ayant travaillé au quotidien avec les belles-mères et les grand-mères Navajo, je suis bien placé pour en prendre conscience!
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De ce fait, le féminisme, dans le contexte amérindien, ce n'est pas tant la "libération de la femme", qui est déjà un fait social, que la libération du joug de la colonisation.
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Et, si vous croyez avoir été une Indienne dans une vie passée, peut-être serez vous intéressée de lire ce texte, " Lettre Ouverte à Ceux qui ont été une Indienne" écrit par Andy Smith, une journaliste Cherokee.
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Il y a aussi cette sensation, ce besoin de se relier à la lignée ancestrale, de guérir la lignée ancestrale. En Occident nous ressentons très fort ce besoin intérieur de guérir des traumatismes du passé, de se décharger des fardeaux de notre propre héritage familial ou collectif. C'est peut-être parce que, comme me le disait la Sioux Lakota Yvette Running Horse Collin, l'histoire de l'Occident depuis 2000 ans n'est que guerres, batailles sanglantes, fanatisme religieux, prises de pouvoir et trahisons. Des guerres de religion aux guerres mondiales, tout notre passé ancestral est imprégné de l'odeur de la poudre à canon et du sang. Et ce n'était pas du tout pareil en Amérique du Nord, où le concept de "guerre totale" était inconnu, ou un immense silence et un calme serein régnaient; où chacun avait le droit de connaître Dieu sans aucun intermédiaire.
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Sur « l'île de la tortue », le continent Nord-Américain, les nations amérindiennes étaient constituées depuis des siècles en démocraties participatives. C'était, et pour certaines, ce sont encore des sociétés hautement organisées, paisibles, fondées sur des valeurs spirituelles, qui n'avaient pas de villes, mais qui vivaient dans une espèce d'Eden éternel, de jardin sacré. Ce n'étaient pas des communautés nomades de "chasseurs cueilleurs", comme la vision occidentale essaie de nous les présenter. ​Il n'y avait pas réellement de batailles, car la bravoure était considérée comme étant plus importante que le fait de vaincre son ennemi, avec cette tradition du Counting Coup, bien décrite par Jamie Sams, de compter les coups que l'on portait à un ennemi, ne serait-ce qu'avec un simple bâton en bois.
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L’occidental ressent de manière très inconsciente cette pulsion de la violence ancestrale dans son propre sang. Cela peut presque être une sensation corporelle, la sensation de la vie qui est freinée dans son développement par l'héritage de ma famille ou de mes ancêtres.
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Sans doute, cette pulsion inconsciente est une des racines du désir de " se reconnecter avec la nature"...
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Se reconnecter à la nature, d'accord, mais est-ce que la nature est vraiment OK avec ça ?
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La plupart des personnes qui s'intéressent au chamanisme en Occident, dans un pays comme la France, le font parce qu’ils veulent se reconnecter avec la nature. C'est oublier que la nature, de son côté, ne partage peut-être pas les mêmes intentions. Finalement, peut-être que la nature ou ses habitants ne veulent pas se reconnecter aux êtres humains qui l'ont violentée durant des millénaires. C'est oublier également que les forces naturelles, loin d'être toutes favorables aux êtres humains, sont parfois redoutables, ou franchement hostiles. Pensez à ces tempêtes qui traversent la France en 2024 : à votre avis, est-ce que ces forces naturelles sont amicales ?
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J'ai un jour rencontré une jeune femme qui a été kidnappée alors qu'elle était adolescente, qui a été gardé prisonnière dans une cave, et qui servait d'esclave sexuelle pour un couple de pervers dans un pavillon de banlieue tout à fait ordinaire d'une petite ville aux États-Unis. Elle a fini par pouvoir s'échapper après une quinzaine d'années d'emprisonnement et de sévices sexuels. Je l'ai connu au travers de stages de reconnexion par les chevaux. Et je me permets de poser la question : à votre avis, vous qui voulez vous reconnecter à la nature, n'êtes-vous pas dans la même situation ?
La société technologique dans son ensemble repose sur le viol organisé des ressources de la planète terre. Croyez vous vraiment que la terre, la nature, et ses habitants invisibles désirent vivre et se connecter avec la personne qui les a violés collectivement pendant des années et des années ?
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Chamanisme, Indiens, et néo-chamanisme, de quoi parle-t-on finalement ?
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L’appropriation et l’exploitation des rituels chamaniques ou Amérindiens et du mode de vie des peuples « chamaniques » est à la mode depuis les années 1980, avec ce qu’il est convenu d’appeler le « néo-chamanisme » – un chamanisme fabriqué de toutes pièces par l’anthropologue Michael Harner. Ce néo- chamanisme est entièrement destiné aux Occidentaux, créé pour les Occidentaux. .
Ce chamanisme, c’est une synthèse de plusieurs pratiques traditionnelles – le « core shamanism ».
Il est enseigné dans une école fondée par Michael Harner, la Fondation pour les Etudes Chamaniques (Foundation for Shamanic Studies – FSS).
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Ce chamanisme est devenu un produit de consommation et de marketing similaire à l’achat d’une série TV ou d’un magazine. C’est un chamanisme qui n’est pas traditionnellement pratiqué par les peuples chamaniques en Sibérie ou en Mongolie, ou en Amérique du Nord, ni d’ailleurs reconnu par eux [3]..
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Le mot "chamanisme", enfin, dans un contexte lié au développement personnel, désigne des "techniques" que l'on suppose issues des "chamanes". Ces "pratiques chamaniques" dessinent, à mon avis, un champ très réducteur.
En effet : des centaines de cosmologies des peuples premiers, des milliers de pratiques cérémonielles, seules CINQ ont été vulgarisées et sont couramment pratiquées en occident.
Ce sont :
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les voyages chamaniques au tambour,
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les animaux totem,
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la quête de vision,
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le recouvrement d'âme,
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et les enseignements de la roue de médecine.
Dans ces cinq pratiques, largement popularisées par le Core Shamanism de Miachael HARNER, et leurs dérivés, on retrouve une très large majorité des pratiques occidentales.
Le chamanisme, tel qu'il est pratiqué en Occident, est donc presque entièrement issu du travail de l'anthropologue Michael Harner, disparu en 2018, ami et directeur de Thèse de Carlos Castaneda, et fondateur de la Shamanic Study Foundation.
C'est une histoire méconnue, et pourtant très intéressante pour qui veut vraiment comprendre le ou les chamanismes actuels. Je suis moi même parti au Mexique pendant un an dans les années 80, sur la piste de Castaneda. J'ai rencontré les cultures Tarahumara et Yaqui ( enfin, ce qu'il en reste...), et à Huautla de Jimenez, j'ai appris à distinguer une culture indigène authentique, la culture Mazatèque de Maria Sabina, des néo chamanismes modernes. Je parle vraiment à partir de ma propre expérience! Et ce n'est pas pour décrier les chamanismes modernes, seulement pour créer du discernement et de la compréhension.
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C'est Michael Harner qui a introduit en Occident la structuration du voyage chamanique tel qu'il est pratiqué en France, et aussi la notion d'animal totem. Il y a depuis une vingtaine d'années un débarquement massif de "touristes chamaniques" occidentaux dans les recoins les plus isolés des forêts, des montagnes et des déserts du Pérou, des plateaux du Colorado aux Etats-Unis, des lacs de Mongolie, et d’ailleurs, pour y dénicher le « chaman » encore « vierge » qui les réconciliera avec eux-mêmes .
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Les choses se compliquent encore plus depuis que le mouvement inverse s’est amorcé, avec exportation de nombreux « chamans » autoproclamés vers l’Europe, avec les initiatives personnelles de certains praticiens comme Sun Bear, de la nation Ojibwe, père de l'activiste Ojibwe Winona LaDuke, sans parler des blancs se présentant comme initiés, comme "ayant reçu une transmission", ou se faisant carrément passer pour des Indiens alors qu'ils n'ont qu'un huitième ou un seizième d'indianité dans leur généalogie.
Aigle Bleu, Mushum, Jamie Sams, Standing Bear, Brooke Medicine Eagle, Sylvie Shining Woman, ou même Arnaud Riou en France sont des vulgarisateurs de cultures d'une complexité et d'une variété immense. Ironie du temps, ils sont beaucoup plus connus en Occident que les ambassadeurs officiels des nations Indiennes eux-mêmes.
La journaliste Navajo Jacqueline KEELER parle d'ailleurs de "pretendians", ceux qui prétendent être des Indiens...
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La « voie rouge », les « enseignements de la roue de médecine », même les concepts de Jamie Sams sur les "Treize Mères Originelles" sont des tentatives louables certes, mais le plus souvent, ce sont des appropriations naïves et romantiques, remplies de stéréotypes sur les "bons Indiens chamanes", et en tous cas franchement éloignées de la réalité amérindienne du terrain. Jacqueline Keeler, a écrit que « pour vivre en bon voisinage, il faut savoir poser des limites saines »[4]. Certains Sioux Lakotas ont même créé une « police » pour lutter contre ce qu’ils perçoivent comme une appropriation de leurs pratiques traditionnelles et de leur culture.
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L'environnement des cultures chamaniques est bien spécifique. On ne peut pas sortir des éléments du contexte pour les introduire tels quels dans une autre culture. Cela ne peut tout simplement pas fonctionner, même s’il n’y a pas d’intention de s’approprier ou de voler ces éléments culturels. Utiliser les concepts de la Roue de Médecine Lakota sans connaître le contexte dans lequel ils existent, c'est un peu comme si un sorcier vaudou Africain venait dans mon cabinet médical pour m’emprunter des seringues. De retour chez lui, il commencerait à piquer ses patients pendant les cérémonies vaudou en disant à qui veut l’entendre qu'il est devenu un grand médecin blanc. La première chose que lui dirait un médecin blanc, c'est que les seringues sont à usage unique, et on ne peut pas les réutiliser, sinon il y a un grand risque de contaminer les patients par le virus de l’hépatite B ou du SIDA. Et par ailleurs, le médecin blanc dirait à ce sorcier que ce qui est important dans la médecine occidentale, ce n'est pas la piqure, c'est ce qu'on met dans la seringue !
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C'est un peu pareil avec ce qui se passe dans les appropriations de cultures amérindiennes. Les occidentaux prennent un élément isolé, tout à fait hors contexte, et s'imaginent que cela va aider, comme le sorcier vaudou qui raconte qu'il est un grand médecin blanc parce qu'il pique les patients avec sa seringue.
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Encore une fois, disons le, les pratiques traditionnelles sont infiniment plus variées. Par exemple, chez les Navajo, il n'y a pas de voyage au tambour, ni d'ailleurs d'utilisation habituelle de tambours lors des cérémonies. Il n'y a pas non plus chez les Navajo de notion d'animaux totem que l'on rencontrerait lors d'un voyage visionnaire, mais un long historique d'alliances et de pactes entre humains et espèces animales.
Etudier, puis pratiquer, en étant enseigné par ses pairs, cela prend plus de dix ans, 10 ans pour commencer à pratiquer comme un Hataali, un medecine man Navajo, comme l'explique Clayson Benally dans ce reportage.
Aucun doute, devenir un praticien traditionnel, cela ne s'apprend pas en deux weekend de stages, et nécessite un investissement en temps, en énergie, une dévotion analogue à un occidental qui a la vocation de devenir médecin et poursuit de longues et difficiles études à la Faculté de Médecine...
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Parfois, cela donne l'impression de DEUX UNIVERS DIFFERENTS qui ne se comprennent pas , et cela crée des QUIPROQUOS gigantesques.
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Dans la suite de ce texte je voudrais aller un peu plus profondément dans l'exploration de ces incompréhensions et quiproquos. Et, vous qui avez déjà lu tout cela, je vous remercie sincèrement de votre temps!
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Chamanes occidentaux ?
Est-ce que les medicine-men et medicine women apprécient le chamanisme à l'occidentale ?
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La réponse courte à cette question est NON.
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La plupart des tribus et Nations Amérindiennes considèrent l'appropriation de la spiritualité amérindienne comme illégitime. Ainsi en 1993, les tribus Lakota ont publié une Déclaration de guerre contre les exploiteurs de la spiritualité lakota (en anglais, Declaration of War Against Exploiters of Lakota Spirituality).
Celle-ci inclut le passage suivant :
« Nous affirmons une position de tolérance zéro pour tout « chamanisme des hommes blancs » s'élevant du sein de nos propres communautés afin d'« autoriser » l'expropriation de nos rituels ou cérémonies par des non-Indiens ; de tels shamans Fake sont les ennemis des peuples Lakota. »
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Plusieurs Amérindiens ont critiqué ce qu'ils jugent être l'appropriation de leur hutte à sudation et de leur quête de vision par des non-Amérindiens, et par des tribus n'ayant pas ces pratiques originellement. Ils affirment aussi qu'il y a de plus grands risques avec ces cérémonies quand elles sont pratiquées par des non-Amérindiens, en se référant à des événements ayant entraîné morts ou blessures en 1996, 2002, 2004, et en 2009 a Sedona.
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En 2015, un groupe d'universitaires et écrivains amérindiens a publié une déclaration contre la Rainbow Family, les Rainbow Warriors ou 'guerriers de l'arc en ciel' dont ''les actes d'« exploitation culturelle […] nous déshumanisent en tant que nation indigène car ils impliquent que notre culture et humanité, comme notre terre, est à la portée de tout le monde ».
Beaucoup en occident voudraient redevenir des Indiens en s'appropriant leur spiritualité ou leur mode de vie.
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Du fait des fréquents échanges entre populations amérindienne et européenne-américaine – dont la population actuelle est parfois jugée comme néo-colonisatrice – la question de la considération du patrimoine culturel amérindien en tant que propriété intellectuelle indigène est fréquente.
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Il faut aussi considérer que l’ego occidental, avec son habitude de se considérer tout-puissant et autorisé à utiliser ou exploiter tout son environnement, se saisit immédiatement des expériences chamaniques pour se les approprier. Combien d’Occidentaux qui prennent l’ayahuasca et visualisent l’énergie dans leurs mains, croient immédiatement qu’ils sont appelés à devenir guérisseurs ou qu'ils l’étaient déjà sans le savoir ? (…)
Les stéréotypes indiens sont présents partout, le site officiel français qui annonce le trafic les jours de grand déplacement s'appelle bison Futé. Sur les carnets de santé des jeunes enfants, les préfectures de certains départements impriment un tipi et un petit ourson.
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Dans le New Age, et le chamanisme y est souvent très présent, il y a une certaine tolérance avec la notion d'appropriation spirituelle. Parfois, j'ai entendu dire que peut-être, il y a un peu d'appropriation de certains éléments qui appartiennent aux Amérindiens comme la roue de médecine, où les animaux totem, mais c'est parce que ces éléments ont été donnés aux occidentaux pour qu'ils les utilisent afin de guérir ou de se guérir eux-mêmes. Dans l'ensemble, ça n'est absolument pas le point de vue des communautés amérindiennes elle-mêmes et par exemple les lakota ont maintenant une position extrêmement stricte vis-à-vis de toute personne qui se ferait passer pour un initié à la pipe sacrée, avec une espèce de police qui en vient même à mener des enquêtes pour constater si les filiations amérindiennes sont réelles ou si elles sont inventées.
Parfois, on entend dire que les rituels Amérindiens n'appartiennent à personne, ils ont été donnés à l'humanité, et comme tout est relié, et que nous sommes tous connectés, nous pouvons tout à fait les utiliser sans faire de l'appropriation. C'est une position qui est en contradiction avec ce que disent les représentants des tribus amérindiennes elles-mêmes. Et bien sûr, il serait franchement malhonnête d'ignorer cette position des représentants de nation amérindienne. D'autre part, même si dans l'absolu, les éléments comme l'eau ou la foudre appartiennent à toute l'humanité, dans la pratique, on ne peut pas détourner une source qui se trouve chez notre voisin en disant que l'eau appartient à tout le monde, et on ne peut pas non plus se brancher sur l'alimentation électrique du voisin en disant que l'électricité provient de la foudre et que donc, elle appartient à tout le monde....
Dans les justifications des chamans occidentaux, il y a aussi, parfois, les références à la prophétie des guerriers de l'arc-en-ciel, une mission qui aurait été donné à certains occidentaux de faire connaître le chamanisme en Europe, et des références assez floues à des transmissions chamaniques, qui sont le plus souvent de 2e main.
Il y a aussi l'argument que l'Occident a perdu ses valeurs traditionnelles, et qu'il faut retrouver les rites de passage, est le sens de la communauté, tel qu'il existait jadis en Europe.
Pourtant, ce qui est vraiment gênant, c'est que l'appropriation des cultures amérindiennes se fait pour justifier l'avènement d'une religion qui n'est pas amérindienne, la religion du New age.
En réalité, cette nouvelle religion est née au sein de la contre-culture sur la côte ouest des États-Unis, dans les années 70. C'est une production de ce qu'on appelle l'Ere du Verseau, avec une forte composante de révolte contre les valeurs traditionnelles des parents. En 2020, on peut dire que cette religion du nouvel âge, est en passe de devenir une religion totalitaire, car il devient très difficile de sortir du cercle convenu des pratiques du néo chamanisme.
Les valeurs d'universalité et de renouveau du nouvel âge ne correspondent absolument pas avec les valeurs de protection, de tradition, d'obéissance à l'autorité, à la famille et aux anciens, des culture amérindienne. Il y a là, à mon avis, un véritable contresens.
il ne fait guère de doute que à l'intérieur des communautés amérindiennes, on ne voit pas d'un très bon œil les développements du neo chamanisme occidental ou du Nouvel Age. Dans l'ensemble, les communautés amérindiennes considèrent que ça n'est, ni plus ni moins, qu'une continuation du colonialisme et de l'impérialisme blanc qui sévit depuis plusieurs siècles. La plupart des porte-parole amérindiens, les journalistes, les leaders d'opinion, considèrent que les "plastic chamans" occidentaux pratiquent, dans les faits, une appropriation culturelle totalement irrespectueuse de leurs valeurs. On est bien loin de l'image idéalisée du bon sauvage, du guide amérindien, de l'homme médecine sage et connecté à la nature qui veut partager ses trésors de sagesse avec les petits frères occidentaux.
Est-ce que finalement, nous n'aurions pas oublié de prendre en compte le point de vue de ceux qui sont caricaturés dans cette imagerie d'Épinal sur les "Gentils Indiens " en mode Pocahontas ? Car il existe réellement une science des peuples indigènes, tout un ensemble de connaissances, de relations entre les règnes de la nature, de savoir-faire écologiques, et même une authentique médecine. Tout cela existe encore au 21e siècle, même si cela vous semble incroyable. Et toute cette connaissance va très loin, très très loin au-delà des stéréotypes desquels on affuble les Indiens, les coiffures de plumes, les roues de médecine ou les animaux totem.
Ouvrir les portes de la réconciliation.
Dire que « chacun possède un chaman à l’intérieur de soi » me paraît au mieux une boutade, au pire un mensonge. Les vocations sont rares et il y a peu de personnes qui ont un Mozart ou un Modigliani à l’intérieur de soi. À l’heure où il faut des années de formation pour devenir un technicien spécialisé, on est surpris d’apprendre qu’on peut devenir chaman et maîtriser les états de conscience en quelques week-ends de formation en forêt de Fontainebleau ! De nombreux stages dits chamaniques proposés dans le contexte new Age font appel en réalité à des techniques de relaxation, de rêve éveillé, d’induction hypnotique, etc., mais n’ont de chamanique que le nom, nous rappelle Jacques Mabit.
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L’initiation est un processus lent et long qui demande l’intégration des expériences à divers niveaux (physique, psychique, émotionnel, spirituel) et pour lequel un Occidental ne peut faire l’impasse sur sa propre culture. Plutôt qu’une fuite vers un autre monde, il s’agit de réintégrer ses propres racines et se réconcilier avec soi-même et ses ancêtres, ce qui, chez nous, signifie se réapproprier également notre fondement culturel judéo-chrétien. Le détour par une culture ancestrale peut s’avérer judicieux à la condition de nous préparer à revenir « à la maison » et de retrouver les deux composantes de base pour l'initiation Occidentale : le Pain et le Vin.
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En outre, l'acquisition préalable ou simultanée d’une formation à la relation d’aide ou bien à une profession qui inclut une dimension thérapeutique me paraît essentielle. L’expérience chamanique doit se préparer avant, se conduire ensuite au sein d’un dispositif symbolique de contention et enfin être suivie d’étapes ultérieures d’intégration du vécu. Elle requiert donc un espace spécifique.
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À ces conditions, l’Esprit qui souffle où il veut et quand il veut pourra inspirer des vocations thérapeutiques qui s’enracinent dans des cultures différentes mais qui parlent de l’Homme éternel.
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Depuis la création du monde, indépendamment de la couleur, de la race ou de la culture, nous sommes et restons UN, unis par la fraternité, l'amour, la curiosité et une authentique amitiés, entourés de ces chevaux qui viennent des quatre directions pour nous enseigner.
Références et bibliographie
[1] Un texte de Sylvain Gillier, librement inspiré en partie d’un article du Dr Jacques Mabit publié dans : Revue Synodies « Le transpersonnel », été 2005, Ed. GRETT (Groupe de Recherche en Thérapies Transpersonnelle) Contact : [->www.takiwasi.com ], avec les citations en italique, inspiré d'écrits de Jacqueline Keeler publiés sur son blog : https://tiyospayenow.blogspot.com/ et d'écrits et entretiens avec l'anthropologue Marie Claude Feltes-Strigler : https://g.co/kgs/uTdR6X
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[2] Dans ce texte, il y a beaucoup de remarques et de commentaires par rapport à l'importation de pratiques amérindiennes dans des cercles en Occident. Et peut-être que certains d'entre vous, qui lisez ce texte, vous pratiquez déjà l'initiation des 13 mères, la voie rouge, ou essayez de retrouver votre pouvoir féminin grâce à l'ensauvagement. Ce texte n'est en aucun cas une attaque, une critique, ou une dépréciation d'une quelconque pratique spirituelle individuelle. Il s'agit simplement de citations, de commentaires, et de témoignages personnels de personnes qui ont vécu longtemps au sein des cultures amérindiennes, et qui savent bien ce qui s'y passe. Les propositions et points de vue de ce texte sont personnels et n'engagent que leurs auteurs. Ils n'ont aucune intention par rapport aux différentes pratiques existantes du chamanisme, que ce soit en Orient, en Occident, ou dans les nations qui pratiquent le chamanisme traditionnellement, autres que la protection contre les dangers de pratiques non conscientes.
[3] Michael HARNER, disparu en 2018 est un anthropologue américain spécialiste du chamanisme. Il publia en 1980 La Voie du Chamane, le livre qui a réintroduit le chamanisme en Occident. Carlos Castaneda, son élève, est l’auteur d’une série de livres à succès décrivant les enseignements de sorciers Yaquis, dont « L’herbe du diable et la petite fumée »
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[4] Conférence de J Keeler : https://www.facebook.com/watch/live/?v=1461393860720895&ref=watch_permalink
[5] J. Keeler est une journaliste Navajo et Dakota partie en chasse contre ceux qui se prétendent chamans tout en perpétuant la colonisation culturelle. Voir son blog sur https://tiyospayenow.blogspot.com/
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[6] Sylvain Gillier, L’enseignement des Chevaux.
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[7] Black Elk savait lire et écrire en lakota. Pour sauver les dernières traditions et transmettre sa vision, qu'il estimait n'avoir pas réussi à accomplir, il dicta en 1930 ses mémoires à John G. Neihardt, publiées en 1932 sous le titre de Black Elk Speaks, et en 1947 à Joseph Epes Brown, les traditions et les rites des Indiens Sioux, publiés sous le titre de The Sacred Pipe.
Black Elk parle, John G. Neihardt, préface de Vine Deloria, introduction de Philip J. Deloria, postface de Raymond J. DeMallie, illustrations de Standing Bear, Hozhoni, 2021, 296 p
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[8] Native American Postcolonial Psychology By Eduardo Duran & Bonnie Duran: Postcolonial Studies Series: SUNY series in Transpersonal and Humanistic Psychology ISBN 9780791423547, 246 pages, March 1995
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[9] À la découverte de la Terre Sacrée des Navajo Histoire, légendes et paysages de la Terre-mère au Ciel-père par Marie-Claude FELTES-STRIGLER Editeur : VÉGA ISBN : 978-2-38135-187-2
[10] The planned Rainbow Family of Living Light gathering (herein Rainbow) in He Sapa, the Black Hills, has caused serious tensions within the Oceti Sakowin. Many of us see the Rainbow gathering as engaging in cultural exploitation, and some of their activities as desecrating our holiest site by appropriating and practicing faux Native ceremonies and beliefs. These actions, although Rainbows may not realize, dehumanize us as an indigenous Nation because they imply our culture and humanity, like our land, is anyone’s for the taking. As outsiders to our Nation and struggles, the Rainbow gathering has caused and will cause more harm than good. Aligning with the Rainbow Family, a group that cites a fictitious “Native American prophecy” as informing their self-identification as “warriors of the rainbow” and willfully appropriates Native cultural practices, is not only adventurist and dangerous, but offensive to many of us who advance and continue to defend the spiritual, the cultural, the sacred, and, most importantly, the political vitality and vision of the Oceti Sakowin.
Read more at http://indiancountrytodaymedianetwork.com/2015/07/14/protect-he-sapa-stop-cultural-exploitation
[11] Estes, Nick; et al "Protect He Sapa, Stop Cultural Exploitation Archived March 3, 2016, at the Wayback Machine" at Indian Country Today Media Network. July 14, 2015.
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[12] In a recent letter to the editor in Indian Country Today, one Rainbow member justifies Native appropriation: “I see how cultural and spiritual appropriation is disrespectful and harmful but I also see how the actual practices heal and rebalance everyone,” as if “everyone” is in need of rebalance. The sense of entitlement to Lakota and Dakota spirituality and culture illustrates a common belief of white settler society: like it was entitled to our land, it is therefore also entitled to our culture and our humanity for its own benefit. The U.S., a settler nation, was built violently upon this myth: white people who feel they lack meaningful ancestral ties and relationships to this land turn to new forms of theft. Our remaining land, sacred sites and cultures are open for plunder and theft as whites seek spiritual meaning and personal self-actualization. They may need “rebalance” after the colonial atrocities of white society. We need what we have always wanted, the dignity and right to exist as an indigenous Nation in our homelands. How does Rainbow further this other than to mock and appropriate our culture? Read more at http://indiancountrytodaymedianetwork.com/2015/07/14/protect-he-sapa-stop-cultural-exploitation
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14 Andy Smith is a Cherokee woman, a co-founder of Women of All Red Nations (W.A.R.N.) and is active in the anti-sexual assault movement. This article appeared in the Winter 1991 issue of Women of Power. Other versions have appeared in various places. It is hoped that those of male gender reading this do not feel excused because it speaks only to “feminists” and white women. This version was written for a feminist publication; however, Ms. Smith did not intend to exclude anyone.